À l’attention des personnes qui bénéficient (même malgré elles) du système raciste

Salut !

Si tu lis ce texte ça veut dire que tu comptes participer aux UEEH. Trop hâte de te croiser !

Mais avant, on aimerait partager deux trois trucs.

Ces dernières années aux UEEH il y a eu beaucoup d’enjeux autour du racisme. En préparation à l’édition 2019 (mais pas que) un groupe de travail mixte s’est réuni tout au long de l’année dans le but d’approfondir la réflexion sur le racisme dans les milieux trans-pédé-gouine (TPG) et d’apporter des outils pour essayer de changer le rapport de force. Une tâche immense qui demandera bien plus que les quelques weekends de travail qu’on s’est donnés durant l’année ! C’est dans cette optique qu’on désire adresser ce petit texte à toustes les participant·e·s des prochaines UEEH, pour que chacun·e arrive avec, au minimum, un début de réflexion sur ses responsabilités lors de l’événement (et au-delà !).

Bon, allez, entrons dans le vif du sujet.

Qu’on soit gouine, bi, trans et/ou pédé, et peut-être aussi en fauteuil, économiquement précaire, séropo, sourd·e, à l’écart des normes de beauté, neuroatypique ou psychiatrisé·e… c’est important qu’on puisse profiter des UEEH pour retrouver de la force sur les oppressions qu’on subit dans la société.

Parce qu’elles sont systémiques, c’est-à-dire qu’elles sont alimentées et renforcées par un ensemble de facteurs sociaux, économiques, politiques et historiques, ces oppressions sont souvent difficiles à dénoncer et ce même au sein des milieux TPG. Pourtant, bien qu’on subisse une ou plusieurs oppressions systémiques, on peut tout aussi bien avoir des privilèges par rapport à d’autres personnes.

Ce qu’on souhaite rappeler avec ce texte, c’est la particularité des privilèges dont on profite en fonction de notre position dans le système raciste, donc en fonction de la couleur de sa peau et/ou d’autres caractéristiques qui renvoient à des préjugés racistes. Et c’est bien important de préciser ici que l’oppression raciste n’est pas « supérieure » aux autres formes d’oppressions. Il n’existe pas de hiérarchie des oppressions ! Cependant, les agressions et micro-agressions racistes sont omniprésentes ces dernières années aux UEEH, et il est temps de prendre en main ces questions.

Cet effort ne doit en aucun cas nuire à la visibilisation d’autres oppressions, bien au contraire !

Le(s) racisme(s) : une brève tentative de définition [1]

Le racisme à la base des sociétés dites « occidentales » est un système historique lié à l’esclavage, à la colonisation, au nationalisme, à l’impérialisme, au capitalisme et au christianisme.

À la fin du Moyen-Âge, l’Europe s’est étendue dans le monde entier pour piller les richesses, asservir les humain·e·s et exploiter leur force de travail. Pour justifier son existence, cette domination économique s’est appuyée sur une idéologie raciste dont l’homme blanc (riche, cisgenre, hétéro, valide, etc.) était l’aboutissement final et universel, la perfection vers laquelle tendre, le juste maître de toute cette masse vivante.

Toutes les disciplines intellectuelles et scientifiques qui se sont développées depuis le Moyen-Âge ont été structurées, entre autre, par la racialisation des corps non-blancs (mais aussi par la hiérarchisation des genres et d’autres systèmes d’oppression), qu’on le veuille ou non. Et de nos jours, cette idéologie poursuit son œuvre, et est arrivée à s’imposer dans le monde entier. Les personnes qui bénéficient de ce système sont donc les personnes blanches, qu’elles le veuillent ou non, qu’elles en soient conscientes ou non. Les personnes qui sont exploitées et opprimées par ce système sont les non-blanc·he·s, les personnes racisées.

Il existe des critères d’exclusion de la blanchité : entre autres des critères physiques (ton et couleur de peau, texture des cheveux, forme des yeux, …) qui reflètent des adaptations biologiques superficielles liées à la géographie.

Le sens donné à ces différences superficielles a des conséquences bien réelles : conséquences sociales, matérielles, psychologiques, institutionnelles. Autrement dit, les personnes blanches ont d’emblée des avantages sociaux, matériels, psychologiques et institutionnels auxquels les personnes non-blanches n’ont pas accès. Le système de domination raciste fait que les personnes racisées sont perçues comme inférieures dans les normes sociales, les traditions, les institutions et sont désavantagées à tous ces niveaux là. Ce genre de discriminations peut aussi s’appliquer à des groupes culturels ou religieux qui subissent une racialisation par l’amalgame de caractéristiques physiques et de pratiques, coutumes ou traditions, comme c’est le cas pour les personnes de confession juive ou musulmane par exemple.

Et il ne faut pas oublier que différentes personnes racisées subissent différentes formes spécifiques de racismes, qu’elles soient métisses, d’Asie, Rrom, du Maghreb, d’Afrique Subsaharienne, d’Amérique Latine, ou de territoires ancestraux non cédés par exemple. Quoi qu’il en soit, le racisme est un système d’oppression complexe qui a des bases et des conséquences matérielles et qui nécessite bien plus que des changements de mentalité individuelle.

Quels privilèges blancs ?

Les privilèges blancs sont donc partout : que ce soit au niveau du logement, du travail, de la répression, ou encore de l’accès au soin, à l’éducation ou aux papiers… Dans les milieux TPG et aux UEEH, ils se manifestent peut-être de manière différente, mais sont tout aussi présents. Si t’es une personne blanche née en France par exemple, la culture qui t’a été inculquée est représentée partout, dans les choix musicaux, la langue dominante, comme dans la façon de s’organiser et les différents codes sociaux. On ne te demande pas à répétition d’où tu viens, ni de justifier ce que t’es venu·e faire en France ou encore quelle est ton histoire familiale. Tu ne fais pas l’objet d’une curiosité malsaine ou d’une pitié paternaliste. Quand quelqu’un·e t’aborde et qu’il y a des enjeux de séduction, il ne te vient pas à l’esprit qu’iel est peut-être attiré·e en projetant sur toi son désir d’exotisme, ou pour paraître « ouvert·e d’esprit » aux yeux de sa famille ou de ses potes. Tu peux parler français sans te sentir jugé·e de ton niveau de maîtrise de cette langue coloniale. Et quand on t’aborde, on le fait normalement dans la langue que tu parles. Des personnes blanches ne viennent pas te voir en te parlant arabe ou maori au hasard, avant même de savoir si tu connais ces langues. Les gens ne vont pas non plus s’incruster dans une discussion juste pour te sortir des généralités inintéressantes sur ton accent, ton habillement, la douceur de ta peau, ou encore sur ton pays d’origine ou celui de ta famille.

Sur les UEEH tu peux te sentir légitime et confortable d’effectuer la plupart des tâches et d’investir la plupart des espaces, et non seulement les tâches et espaces de subalternes. Dans les milieux TPG ou militants, tu peux envisager de participer à des évènements, des ateliers ou des réus d’orga sans te retrouver constamment en position de minorité raciale ou être invité·e par pur soucis d’inclusivité. Et quand tu prends la parole, on ne te donne pas l’impression de représenter tout un groupe de personnes, on respecte généralement ton individualité. Si tu te mets en colère, on ne va pas te traiter de sauvage, ni te voir comme une personne non civilisée à qui il faut expliquer comment se défendre. Il ne t’arrive probablement jamais que des personnes inconnues te touchent les cheveux sans te le demander. Ou que des personnes s’approprient des rituels, des musiques, des coiffures, des vêtements traditionnels ou des mots qui sont politiquement ou spirituellement chargés pour toi, juste parce que c’est le nouveau truc à la mode ou pour se donner un style, avoir l’air étrange ou tellement alterno. Ce que tu possèdes, on ne pensera pas d’abord que tu l’as peut-être volé. Et les vêtements que tu portes ne font généralement pas l’objet de débats nationaux…

La liste pourrait être longue, et ce n’est pas le but de la rendre exhaustive. Ce qui compte c’est que, même en imaginant que tu n’aies jamais commis de comportement raciste dans ta vie, tu profites quand même de plein de privilèges issus du système raciste. Tout comme pour le sexisme, où tous les mecs cis ne sont pas des gros machos, mais profitent tous du système patriarcal, toustes les blanc·he·s ne sont pas des fachos, mais bénéficient du système raciste.

Remettre en question ses privilèges c’est déstabilisant et remuant, parce que c’est remettre en question tout un tas d’évidences (qui constituent justement le privilège) et donc c’est sortir de sa zone de confort.

Venir aux UEEH c’est donc être prêt·e·s à faire ce travail qui secoue.

Prendre la responsabilité de ses actes

Donc, même sans le vouloir, tu peux faire vivre des trucs pas cool à des personnes non-blanches dans tes interactions. Et ce n’est pas parce que tu crois être une personne gentille et ouverte que ça ne va pas arriver. Le racisme ce n’est pas juste les discours de l’extrême droite, ce n’est pas juste de l’hostilité envers les personnes non-blanches. Il peut prendre plein d’autres formes moins visibles et qu’on a le luxe de complètement zapper quand on ne subit pas cette oppression. Cela fait en sorte que le quotidien d’une bonne part des personnes racisées est rempli de (micro-)agressions racistes qui se croisent à d’autres oppressions systémiques comme l’homophobie, la transphobie ou la biphobie par exemple. La plupart du temps elles passent totalement inaperçues : juste un soupir, ou une excuse pour quitter la conversation. Mais parfois il y des personnes qui essaient de faire comprendre que d’autres ont merdé.

Si une personne qui subit une forme de racisme que tu ne vis pas souligne un comportement oppressant chez toi, fais-lui confiance. Même si tu ne comprends pas tout de suite. Même si la façon dont elle l’a dit t’a paru inappropriée. De par son vécu, elle est plus compétente que toi dans ce domaine, exactement comme c’est le cas pour toi si t’es gouine et que tu parles d’homophobie avec un·e hétér*.

Ce qui compte, à ce moment, ce n’est pas de sauver ta face en clamant ton « innocence », mais de prendre la responsabilité de tes actes et de respecter le ressenti de l’autre. Avoir fait ou dit quelque chose de raciste ne fait pas de toi un monstre, mais il faut assumer ce qu’on fait au lieu de se justifier et de tout ramener à soi. Parfois des excuses sincères suffisent. Parfois il y a besoin d’une distance et d’une séparation des espaces. Parfois un processus de médiation est demandé. Chaque situation est particulière et demande une réaction appropriée, il n’y a pas de mode d’emploi, et la personne que t’as blessée n’a pas l’obligation de t’expliquer ce que tu dois faire pour réparer. C’est à toi de te remettre en question, prendre du recul sur ton égo et tenter des pistes, quitte à te tromper et à demander de l’aide. Dans tout ça, se victimiser ou s’auto-flageller concentre toute l’attention sur son propre égo et évite donc de prendre la responsabilité de ses actes.

Contre les bouc-émissaires

Si tu assistes à une situation raciste, s’il te plaît, évite de transformer la personne qui l’a commise en bouc émissaire, c’est-à-dire en la pointant du doigt comme LA personne raciste, alors qu’on véhicule potentiellement toustes des comportements racistes, même sans s’en rendre compte. Quand on pointe un bouc émissaire, on se dédouane de ses propres responsabilités et on renforce, chez soi comme chez les autres, la peur de finir exposé·e et condamné·e sur la « place publique », de se faire rejeter par sa propre communauté. Tant qu’on cherche à cacher notre propre racisme derrière ces indignations opportunistes, chaque individu cherchera tous les moyens possibles pour ne pas reconnaître qu’il a merdé, y compris foutre la pression, ignorer, minimiser, ridiculiser cellui qui lui fait la remarque. Cela décourage donc les personnes qui subissent du racisme à dénoncer les agressions qu’elles vivent. C’est le même mécanisme qui entretient plein d’autres oppressions et qui participe activement à leur invisibilisation. Et il n’y a vraiment pas besoin de ça, ni dans les UEEH, ni dans les milieux TPG, ni dans la société en général. À la place, cherchons plutôt à faire avancer concrètement la situation vers quelque chose de plus satisfaisant.

Si jamais : s’extraire de tout ça par malaise et rester juste avec tes potes blanc·he·s ce n’est pas une solution, c’est de la ségrégation raciale. Et rappelons-nous aussi que les bons discours ne servent à rien si on ne sait pas les appliquer.

Voici une liste de ressources extrêmement variées sur l’antiracisme disponible en ligne : liens utiles pour s’éduquer sur l’antiracisme.


  1. Cette tentative de définition est partiellement tirée du document qui accompagnait l’atelier sur le privilège blanc à l’édition 2018. Elle a été modifiée au fil des discussions et des retours durant l’année. ↩︎